par Peter Malaise
Ces deux termes sont devenus un concept commun parmi les consommateurs de produits dits “verts”, principalement des produits non alimentaires, et dans la production et le commerce de ces produits en général.
Pour les deux termes, nous devons tenir compte des différentes interprétations, selon la personne qui les regarde :
– il y a la perception du client/consommateur, qui peut être déformée, superficielle et qui est plutôt une opinion qu’un fait ;
– il y a l’interprétation technique et/ou juridique, qui est souvent réduite à un nombre limité de propriétés physiques ;
– et il y a la définition que nous voulons propager et qui prend en compte les deux premières, mais qui essaie aussi d'”éduquer”.
L’opinion publique peut être déformée, pour ne pas dire carrément erronée sur certains points, et c’est certainement le cas des termes du titre.
Écologique
Le terme anglais « eco-friendly » est habituellement traduit comme « écologique ». Ce terme est apparu pour la première fois en 1866 : c’est notamment le célèbre scientifique Ernst Haeckel qui l’a conçu et introduit en allemand (ökologisch). Nous allons voir que sa signification a beaucoup changé depuis, ce n’est qu’en 1989 que cette la signification actuelle s’est généralisée:
– l’année où le dioxyde de carbone dans l’atmosphère a atteint pour la première fois 350 ppm ,
– que la marée noire de l’Exxon Valdez s’est produite en Alaska et
– que le protocole de Montréal relatif à des substances qui appauvrissent la couche d’ozone est entré en vigueur.
Le terme « ecological » n’est pas utilisé en anglais dans le même sens que « écologique » en français. Différents dictionnaires de langue anglaise donnent entre-eux différentes significations au terme anglais « eco-friendly » :
– Dictionnaire de Cambridge : “Les produits respectueux de l’environnement sont conçus pour causer le moins de dommages possibles à l’environnement”.
– Merriam-Webster : “Pas de danger pour l’environnement, pas de mauvais effet sur le monde naturel”.
– Dictionnaire Collins : “Les produits ou services respectueux de l’environnement sont moins nocifs pour l’environnement que d’autres produits ou services similaires”.
– Dictionary.com : “Avoir un effet bénéfique sur l’environnement ou du moins ne pas causer de dommages à l’environnement”.
La signification en anglais se situe donc entre “effet bénéfique sur l’environnement” et “non nocif”, et peut signifier à peu près tout ce qui se situe entre les deux.
Le dictionnaire Van Dale (néerlandais) dit : « Non nuisible à l’environnement ».
Le Larousse dit : « Relatif à l’écologie ou qui se réclame de cette science ». Ce n’est qu’en seconde signification qu’on a rajouté plus tard « Qui respecte l’environnement ».
Si la signification du terme « écologique » se reporte donc à tout ce qui est relatif à l’écologie, une dénomination comme « lessive écologique » n’a pas beaucoup de sens. Un terme plus correct serait « respectueux de l’environnement ». Mais le terme « respectueux de l’environnement » s’avère également précaire pour définir les produits “verts” ; il est bien vague et il n’est pas non plus couvert par la loi. Il faut garder à l’esprit que, dans plusieurs langues européennes, les termes utilisés couvrent un éventail très disparat de significations.
Le terme “écologique” est une façon informelle et paresseuse de définir les produits et services qui sont censés respecter l’environnement naturel, tout comme le terme “vert” l’est, mais les gens prennent généralement ce dernier moins au sérieux.
L’expression “écologique” est-elle discutable ?
Le terme suggère que le produit ou le service sous cette dénomination, ainsi que les personnes qui utilisent un tel produit, ajoutent quelque chose de positif à l’environnement naturel ; cette suggestion est nettement plus marquée en anglais qu’en français. Cette influence supposée positive n’est presque jamais présente : les produits non alimentaires sont principalement fabriqués par l’homme, ils ne se trouvent pas en tant que tels dans la nature. Il n’y a rien de mal à cela, mais les produits fabriqués par l’homme sont généralement sortis de leur contexte naturel pour servir un objectif quelconque de l’humanité :
– Une peau d’animal qui a été tannée et transformée en cuir met très longtemps à pourrir, bien des fois le temps qu’il faut pour une peau non traitée. Cette peau peut également libérer du chrome (un métal lourd) provenant du processus de tannage, ainsi que d’autres contaminants.
– Un détergent dérivé d’huiles végétales a été chimiquement transformé, il peut avoir acquiert une toxicité prononcée pour la vie aquatique et résister à la biodégradation dans une mesure beaucoup plus importante que les huiles végétales dont il est dérivé.
La communication suggestive sur un produit particulier comme étant bénéfique pour l’environnement est systématiquement utilisée dans la commercialisation de produits non alimentaires “verts”. Ce n’est guère le cas pour les aliments, car les aliments se réfèrent à des matières uniques (tomates, huile d’olive, farine de blé, olives, pour une pizza, par exemple) qui sont en effet très bien traçables à une source agricole certifiée et bénéfique. Mais ces matériaux ne sont pas censés d’avoir un effet physico-chimique sur le monde extérieur, comme on l’attend des détergents. Même une pizza ne peut pas être considérée comme « écologique » ; il s’agit simplement d’une pizza, savoureuse ou non, au mieux elle sera neutre sur le plan environnemental. Un cuisinier maladroit peut faire une pizza pourrie avec les meilleurs ingrédients biologiques. Elle ne nuira pas aux systèmes écologiques, mais elle ne leur sera pas bénéfique non plus.
Les ingrédients d’un détergent proposé comme « écologique » ne doivent pas nécessairement provenir d’une source certifiée, ils sont évalués théoriquement à l’aide d’une base de données, la base de données des ingrédients des détergents (Detergent Ingredient Database, DID), mise en place et contrôlée par l’UE. Cette base de données accessible au public répertorie les ingrédients les plus courants des détergents et seuls les ingrédients répertoriés peuvent être utilisés pour les produits souhaitant obtenir le label écologique européen pour les détergents. En outre, les formulations de produits soumises doivent passer un test de performance orienté sur les performances souvent excessives des détergents conventionnels. Rien de tout cela n’est très « écologique ».
De nombreuses ONG et organisations similaires, ainsi que des producteurs spécialisés de détergents dits « écologiques », remettent en question les critères plutôt tolérants utilisés pour ces ingrédients, et l’absence de formules « vertes » pour tester les détergents « verts ». Comme le formule mon ami Michael Braungart1 : « moins mauvais n’est pas suffisamment bien ».
Il n’y a pas de détergents « écologiques », tout comme il n’y a pas de couteaux «gentils pour les doigts » ; les premiers ne lavent pas, les derniers ne coupent pas. Même avec les meilleurs ingrédients, les détergents ne peuvent pas être « écologiques ». Dans l’ensemble, le terme « écologique » – qui peut facilement être utilisé sans rencontrer de problèmes juridiques – crée un écran de fumée et suscite la bienveillance pour quelque chose qui peut être faux.
Une alternative au terme « écologique » ?
Je proposerais les termes plus formels « respectueux de l’environnement », « responsable de l’environnement » ou «écologiquement neutre ». En anglais, nous connaissons le terme « environmentally sound », qui, traduit librement, signifierait quelque chose comme « écologiquement responsable ». Tout cela est loin de se prononcer avec la même aisance que « écologique » ; les premiers termes signifient que vous pourriez avoir à vous justifier, et sont beaucoup moins dissimulateurs et tolérants que le dernier.
– L’OCDE2 déclare: « Les technologies écologiquement responsables sont des techniques et des technologies qui peuvent réduire les dommages environnementaux grâce à des procédés et des matériaux qui génèrent moins de substances potentiellement nocives, qui récupèrent ces substances à partir des émissions avant rejet, ou qui utilisent et recyclent les résidus de production.
Lors de l’évaluation de ces technologies, il convient de tenir compte de leur interaction avec les conditions socio-économiques et culturelles dans lesquelles elles sont mises en pratique”.
Les produits et procédés « respectueux de l’environnement » sont ceux qui, tout en répondant aux attentes en matière de performances, sont fiables et sûrs pour l’environnement actuel et futur – pour autant que nous puissions le prévoir en l’état actuel des connaissances – et la santé humaine qui y est associée.
Ces définitions ne suggèrent pas que les produits visés sont doux ou sûrs, ni qu’ils ont un effet bénéfique sur la santé et/ou l’environnement. Ils sont proches de la notion de « neutralité environnementale », qui est un terme assez technique. En même temps, il ne s’agit pas de déclarations absolues (bonnes / mauvaises), un produit neutre sur le plan environnemental tiendra bon et évoluera avec les circonstances en constante évolution du contexte écologique, socio-économique et culturel de la société.
Il n’y a rien contre l’utilisation du terme « produits verts » comme terme informel dans le langage parlé, mais j’essaie de l’éviter dans les textes écrits (règle que j’ai enfreinte dans ce texte par souci de clarté).
Durable
La signification historique, première de ce terme est « quelque chose qui peut résister aux ravages du temps ». Plusieurs langues européennes utilisent un terme similaire pour traduire le terme anglais « sustainable ». Littéralement, « sustainable » signifie « soutenable », quelque chose qui peut être perpétué dans le temps.
Les anglais utilisent le terme « durable » pour tout ce qui est solide et costaud. Beaucoup de gens travaillant dans ce secteur utilisent donc le mot anglais « sustainable » pour s’exprimer sans ambiguïté.
Le terme « sustainable » s’est généralisé après la publication du rapport-Brundtland de la CMED3 en 1987. Les conclusions de ce rapport de 200 pages sont présentées sous forme abrégée :
« Le développement soutenable est un développement qui répond aux besoins des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre à leurs propres besoins ».
Cela signifie que quoi que nous fassions dans la situation sociale et économique actuelle, c’est ainsi que nous devrions le faire :
– nous n’épuisons pas les sources de matières premières, d’eau et d’énergie,
– nous ne causons pas de pollution persistante sous quelle forme que ce soit, et nous ne mettons pas en danger la biodiversité,
– nous ne causons pas de troubles sociaux, sociétaux et/ou culturels.
Un élément très intéressant : quand la Commission CMED a édité la version francophone de son rapport anglais en 1988, elle a insisté auprès de l’éditeur Éditions du Fleuve à Québec pour qu’il utilise le terme « soutenable » comme traduction pour « sustainable ». Peux de gens le savent, ou ont oublié depuis, mais en tout cas c’est un terme qui marie parfaitement la signification de « sustainable ».
Le terme « soutenabilité » désigne une situation dans laquelle le développement soutenable aurait déjà été finalisé ; toutefois, le rapport-Brundtland indique clairement que le développement soutenable est une histoire sans fin, non pas un statut, mais un processus en constante évolution. Il y aura toujours beaucoup à faire et à développer. Les entreprises ou organisations qui se disent soutenables n’ont manifestement pas compris la problématique. Un produit, un processus, une action, un développement peuvent chacun être soutenable dans leur propre contexte factuel, mais les organisations ou les entreprises ne peuvent pas l’être et ne le seront jamais.
La transformation des matières premières selon les principes de la Chimie Verte (chimie douce), par exemple, peut être considérée comme un traitement soutenable.
En ce sens, les produits respectueux de l’environnement, responsables de l’environnement ou écologiquement neutres sont des produits qui s’inscrivent dans une perspective de soutenabilité, tout comme l’agriculture biologique s’inscrit dans cette perspective. Il existe des constructions durables, et des médicaments, des produits cosmétiques, des vêtements, de la peinture, des meubles, etc., qui travaillent tous dans la même direction, bien qu’avec des critères différents, selon le type de sources, de matériaux, de processus et de commerce. Ils sont également tous à des stades de développement très différents. Ce qu’ils ont en commun, c’est que les cycles de vie des produits montrent des relations fortes dans leurs principes de base :
– à partir de sources renouvelables, si possible non fossiles, complétées par des minéraux communs,
– traitées avec des processus durables,
– fiables et sûrs à l’utilisation,
– avec un excellent profil en termes de réutilisation, de recyclage ou de valorisation,
– et un profil de fin de vie avec une faible toxicité pour la vie aquatique et une dégradation facile et complète, sans résidus stables.
Peter Malaise
Pour plus de détails sur les matières premières des lessives, des détergents et des cosmétiques, veuillez consulter le site web [https://www.ecobiocontrol.bio/] (français, anglais, italien).
Cet article est l’opinion personnelle de l’auteur et n’est parrainé par personne. Les références aux producteurs ou aux marques ne confèrent aucun avantage financier ou autre à l’auteur ou à Meta.Consort. Meta.Consort est une société de conseil et ne fabrique ni ne vend aucun produit.
1Braungart & McDonough, The Upcycle: Beyond Sustainability, North Point Press, 2013
2 Organisation pour la Coopération et le Développement Économique
3 Commission Mondiale sur l’Environnement et le Développement