Innovation soutenable : pas si facile…

Ce texte a été publié dans le magazine Biolinéaires en 2014.


Pizzas et lessives

Il ne faut jamais oublier la différence fondamentale entre un produit alimentaire et un produit détersif. Les tomates, les poivrons, les oignons viennent avec l’empreinte de leur terroir, du climat et de la méthode d’agriculture qui les a produit. La pizza qu’on réalise avec ces matières premières aura une qualité qui dépendra en plus du doigté de son facteur. Ces mêmes tomates, poivrons, oignons ne sont pas sensés d’exercer un effet chimique autour d’eux, dans notre vie de tous les jours. C’est pourtant bien le cas pour les détergents. Une lessive par exemple est sensée de rendre votre linge propre, tout en respectant votre santé et celle de notre planète.

Elle doit neutraliser le calcaire, dissoudre les salissures, dégraisser, détacher, blanchir, en respectant les couleurs, les fibres et la machine à laver, et sans laisser des résidus potentiellement à risque.
Un tour de force, à réaliser avec de 80 à 100 g de produit, soit l’équivalent d’une tablette de chocolat par lavage. Les producteurs conventionnels se sont efforcés depuis plus d’un siècle (la première lessive de marque date de 1907) pour trouver des matières premières et des formulations qui permettent ce prodige. Il faut bien sûr un effet chimique, sinon le lavage ou nettoyage ne serait
pas possible. Mais les salissures aussi bien que les fibres et les surfaces à traiter ont connu un développement incessant. À chaque reprise il fallait adapter la chimie des produits à celle des objets à nettoyer. Avec les nouvelles molécules comme le nylon, le polyester, l’acryl, le formica, la mélamine, de nouvelles incompatibilités ou effets négatifs se montraient.

Prise de conscience

En parallèle les matières premières lessivielles, à l’origine principalement issu du végétal, ont systématiquement été remplacées par des origines fossiles. Ce choix nous a causé bien de problèmes, de santé comme environnementaux. Comme l’ère du fossile touche à sa fin, il faut se faire des idées sur d’autres
sources, principalement un retour au végétal, additionnellement des sources animales ou microbiologiques.
Double problème : les nouveaux développements ne peuvent pas générer de conflit avec l’alimentaire ; et les dérivés doivent être respectueux de la  santé humaine et de l’équilibre environnemental, génétique et climatique. Le problème central de tout cela se situe dans le manque de recherches sur les matières non-petrolières depuis la première guerre mondiale. Il y a un manque de produit semi-fini issu de la nature vivante et conséquemment un manque de produits à cette base. Au contraire, l’industrie des matières premières s’est acharnée trop longtemps à prétendre qu’il n’y avait pas de problèmes.

L.L.E !

Regardez donc les soi-disantes innovations avec un oeuil critique et demandez des explications précises à leurs producteurs. Première règle : L.L.E ! Ce qui veut dire : Lisez Les Etiquettes. Souvent, il s’agit de produits « me-too » qui ne font guère que copier les grandes marques, sans innovation réelle, une stratégie dite « du coucou ».
Il faut se demander si dans l’optique éthique du magasin bio on veut laisser la place à 157 dressings différents (mais sensiblement identiques), comme a constaté le psychologue américain Barry Schwartz dans son magasin local (*). Il n’y a pas de mal à la présence d’un certain choix, par exemple d’avoir cinq ou six produits vaisselle avec des parfums différents ; les goûts et les couleurs ne se discutent pas. Les présenter comme des innovations, c’est fantasmagorique. De même pour le genre d’innovations qu’on voit de plus en plus les dernières années : produits et méthodes de nettoyage ou lavage qui vont, dit-on, déclencher un cataclysme cosmique. Ils affichent l’une ou l’autre substance dite « naturelle », excentrique, exotique, souvent brevetée, qui va camoufler la médiocrité de l’ensemble. Rappelons-nous que même dans la chimie il n’y a pas de miracles et que toute réelle innovation est plutôt du genre Petit Poucet que Grands Sauts. Le secret dans tout cela ? Il faudrait un échange régulier entre producteurs et distributeurs pour que ces derniers puissent comprendre eux-mêmes, pour ensuite bien informer les consommateurs. Ce n’est que cet approche qui va générer la confiance mutuelle.


*) Barry Schwartz, The Paradox of Choice, Why Less is
More, ISBN 0-06-000568-8