Hygiène en cosmétique

par Peter Malaise

Cet article a été publié dans le périodique anglais Personal Care, novembre 2012

 

  1. Equipement cosmétique: comment nettoyer
    de façon écologique?

L’année passée il y a eu mainte publication traitant d’innovations techniques et de méthodes nouvelles ou renouvelées pour nettoyer plus vite, de façon plus efficace et – principalement – moins cher. Toutefois, il n’y en avait quasiment pas qui traitaient du nettoyage écologique.

Les thèmes principaux qui inquiètent actuellement les producteurs de cosmétique Européens sont (sans ordre particulier) : REACH, les essais sur animaux, les parabènes, les OGM et la question omniprésente : « est-ce compatible avec Ecocert ? ». Cela ressemble à une collection aléatoire d’éléments non-relatés, mais finalement toutes ces thématiques sont liées au nettoyage écologique, même ci cela n’est pas apparant à première vue.

D’abord, nous devons comprendre ce que veut dire le terme « écologique » ; et qu’est-ce le nettoyage écologique ? Il y a beaucoup de significations à ce terme, et bien plus encore d’opinions. Le Larousse mentionne comme explication : « Qui respecte l’environnement », interprétation que donnent la majorité des dictionaires explicatifs. Plus que probable c’est aussi l’explication la plus répandue, même si elle reste assez vague et que les gens auront du mal à la rendre claire. Même les gens des organismes certificateurs se gratteront la cervelle quand on leur demande.

Au courant de ma carrière comme créateur de produits et directeur conceptuel – qui démarra en 1972 – je me suis développé ma propre caractérisation, pas parce que je voulais absolument en avoir une qui m’appartenait, mais parce que j’étais dissatisfait de celles que je trouvais. Elles ne touchaient pas l’essence de la matière et en même temps, elles n’étaient pas sufisamment objectives. « L’environnement » tant que élément singulier n’existe pas ; ce qui est bénéfique pour un désert ne l’est pas nécessairement pour les pampas, et vice versa. Et « respecter l’environnement » peut être interprété de façon très différente d’après ce que vous le demandez à un gérant de centrale nucléaire ou à un jardinier.

En fin de compte je me suis retrouvé avec la phrase suivante : « Une substance ou un processus qui peut s’insérer dans la logique des écosystèmes, peut être appelé écologique ».

  1. Les écosystèmes

Au centre de cette caractérisation se trouvent les écosystèmes. Il y en a beaucoup de différents sur cette planète  – l’eau, l’air, la terre, les plantes, les animaux – chacun d’eux a sa logique à lui et l’intéraction avec les autres suit une propre logique également. Imaginez-vous comment le gulfstream s’écoule entre des zones chaudes et froides de la planète.

Si nous apprenons à nous glisser dans cette logique, même avant de développer quoi que ce soit, nous disposons d’un guide puissant pour nous aider à choisir les matières premières, ingrédients et processus pour développer un produit ou service qui sera dans le plein sens du terme « écologique ». Il se glissera dans la logique des écosystèmes « du berceau au tombeau », voire même « du berceau au berceau ». Je suppose que la majorité des professionnels sait que la plupart des ingrédients à base de carbone qui s’utilisent pour les nettoyants professionnels proviennent de sources fossiles (principalement le pétrole). Il en est pareil pour les nettoyants avec lesquels on fait le nettoyage de l’équipement cosmétique.

Les problèmes qu’amènent ces sources fossiles sont multiples : leur stock touche à sa fin sans qu’on puisse le reconstituer, et une multitude de leurs dérivés causent de problèmes en aval, à l’utilisation comme par après. Ils présentent souvent une toxicité aquatique inacceptable et une biodégrdabilité médiocre, voire inexistante, avec la génération de quantités importantes de métabolites stables après. La situation est bien pire que celle des produits ménagers, car la législation sur les détergents qui a été impléméntée à travers l’Europe (et partiellement à une échelle globale) n’est pas encore d ‘application pour les nettoyants professionnels.

« Du berceau au tombeau » et « du berceau au berceau » sont des principes qui ont été développés extensivement par le chimiste allemand Michael Braungart et l’architecte américain Bill McDonough. « Du berceau au tombeau » veut dire qu’on évalue à base volontaire le trajet entier du cycle de vie d’un produit ou d’un service, à partir des resources jusqu’à la dégradation totale, et qu’on en prends la responsabilité. Cela va bien au-delà de la responsabilité légale, qui elle est toujours en retard vis à vis de la réalité.

Avec « du berceau au berceau » on fais un pas supplémentaire. En développant un produit on s’assure que les ingrédients et matières peuvent être réutilisés une deuxième (troisième, quatrième…) fois quand le produit touche à sa fin, ou qu’il puisse devenir composant d’un produit ou service différent.

Il sera clair que quand un développement pareil se produirait à grande échelle – surtout avec « du berceau au berceau » – les flux de matières premières ainsi que la génération de matières vierges se ralentirait considérablement. Il y aurait plus de matières premières disponibles pour satisfaire aux besoins d’une population mondiale toujours croissante. Toutefois, il est clair qu’une démarche « du berceau au berceau » ne sera pas possible avec des cosmétiques, des nettoyants ou des catégories de produits ou services similaires. Ceux-ci sont des produits qui sont détruits à l’application, tout comme les aliments. Mais quand ces produits ont été développés en accord avec les principes « du berceau au tombeau » ils disparaissent sans laisser de traces dans le flux des matières dont elles on été extraites.

Ces quelques exemples peuvent donner une idée de ce que signifie « travailler en accord avec les écosystèmes » plutôt que de travailler contre eux, comme on fait en ce moment.

  1. Nettoyer, rien de plus

Mais tout ceci ne constitue qu’une partie du nettoyage écologique. L’autre aspect à considérer est, que même le nettoyage écologique, c’est du nettoyage, en fin de compte. Un détergent écologique qui ne nettoie pas à satisfaction peut être très écologique, mais ce ne sera pas un détergent.

Bien sûr, il y a une différence importante entre une effectivité réelle et une effectivité perçue. Beaucoup de gens attendent des produits aggressifs aux senteurs horribles quand ils parlent de détergents industriels. Il n’est pas surprenant alors que l’engagement des collaborateurs sera réduit lorsqu’ils doivent travailler avec ce genre de produits.

En 1997 j’ai audité quelque onze producteurs alimentaires Francais sur leur efficacité hygiénique. Parmi eux deux abbatoirs et un producteur d’aliments pour bébés, tous ils produisaient des produits conventionnels comme des produits bio. Toutes ces usines, sauf une, donnaient des résultats inférieurs, en dépit de la chimie dure qu’ils mettaient en œuvre. Celle qui donnait de bons résultats – une laiterie-fromagerie – était celle qui n’utilisait pas de chimie dure ; en fait elle n’utilisait quasiment pas de détergent du tout. Ce qu’ils pratiquaient en lieu et place était formé de protocoles stricts et d’une grande attention pour l’engagement et le détail. C’était devenu comme un sport pour les collaborateurs que de faire tourner la production avec un haut niveau d’hygiène. Cet échantillon était bien sûr insuffisant pour en tirer des conclusions globalement valables, mais depuis j’ai trouvé à maintes reprises des résultats similaires : ce n’est pas la chimie dure qui garantit les bons résultats hygiéniques. Au contraire, cette chimie va dans beaucoup de situations peser sur l’engagement des collaborateurs.

Nous ne devrions pas en effet oublier quelques principes de base du nettoyage. Dans un processus de lavage textile à l’eau pure, sans addition de détergent, l’enlèvement des taches est de quelque 40 %. Une addition de détergent pousse le résultat à 75-85 %, d’après le type de taches, le type de fibres, la température et le mouvement de la machine. Rappelons nous feu le Dr. Sinner, dantan un ingénieur chimiste auprès de Henkel, qui nous a donné le bon vieux « cercle de Sinner » : Temps (T), Température (T°), Mécanique (M) et Chimie (C), présentés comme les segments d’une tarte. Agrandir un segment réduit obligatoirement un ou plusieurs des autres. Dans cette perspective, ce n’est pas uniquement la chimie qui fait le travail, il faut un équilibre sensible entre différents éléments. C’est un des principaux malentendus qui fait que le nettoyage non-écologique est tellement polluant.

  1. Repenser le processus

Avec ces principes toujours valables en tête nous pourrions reconsidérer nos processus de nettoyage aussi bien que les produits que nous utilisons pour les assister. D’après mon expérience c’est souvent un protocole de nettoyage faible ou incohérent qui génère des résultats médiocres, même en présence de détergents aggressifs. Je vous décris une situation dans laquelle je mis retrouvé lors des audits de 1997.

Un grand abbatoir qui traite des bovins et des cochons tenait à la fin de la chaine un réservoir en inox de 2000 L, destiné à capter le sang des cochons pour la production de boudin noir.

D’une certaine distance j’observais le personnel en haut d’une nacelle élévatrice attaquer le réservoir avec une lance haute-pression et une solution aqueuse d’un détergent pétrochimique, chloré, à 80°C. Après que la brume s’était posée et le réservoir rincé s’était refroidi, je faisais des prélèvements de sa surface à différents endroits avec des écouvillons ATP. Leur lecture sur place donnait des résultats stupéfiants. D’après le classement proposé par l’appareil ATP (bien calibré et ayant montré sa fiabilité à plusieurs reprises) je devais trouver des valeurs en-dessous de 200 Relative Light Units (RLU) pour des surfaces dûment nettoyées. En réalité je détectais pour tous les écouvillons des valeurs autour de 40.000 RLU. Pour comparer, une paire de mains relativement propres donne 6.000-8.000 RLU. Que s’était il passé, puisque on avait utilisé un eau à 80°C et un détergent pétrochimique chloré ?

Le sang est un complexe protéiné et quand on l’attaque avec de l’eau à 80°C, la protéine se fige, laissant comme un filme ultramince sur la surface inox. Dans l’absence d’un effort mécanique (les surfaces n’étant pas touchées) ce filme ne laissait pas s’enlever entièrement par le détergent alcalin. Le chlore n’avait pas de sens du tout, puisque il est complètement neutralisé par la protéine – c’est même un partie essentielle du test Européen pour les désinfectants. En sus, le chlore n’est pas un nettoyant mais un oxydant, il n’a que du sens pour tuer des colonies microbiennes isolées sur une surface totalement propre. Il ne peut pas pénétrer les résidus.

Un protocole bien plus efficace serait d’éffectuer un nettoyage des restes solides et de sang avec la lance haute-pression, moyennant une solution de détergent alcalin à base végétale, à 40°C (pour éviter la coagulation). On poursuit avec un rinçage à l’eau pure à 40°C et dont on fait monter la température à 80°C vers la fin de l’opération, ce qui donne un effet de pasteurisation au niveau des surfaces. Si on veut utiliser un biocide en dernier rinçage sur surface propre, il y a différentes possibilités écologiques : peroxyde d’hydrogène, percarbonate de sodium, acide citrique ou lactique ou des combinaisons de ceux-ci, d’après les compatibilités chimiques. Le seul facteur limitant sera la législation. Dans beaucoup de pays l’utilisation d’un poison pour la désinfection est obligatoire et ne se laisse pas contourner.

Il ne s’agit que d’un seul exemple, mais il pourrait aisément être adapté à des circonstances différentes. L’efficacité supérieure sera mesurable et l’impact sur la santé et l’environnement du second protocole ne sera qu’une fraction de celui du premier protocole. Le chlore en forme d’aérosol (généré par la lance haute-pression) voit son impact malsain sur le tracte respiratoire se multiplier.

Les tensioactifs à base végétale se dégradent totalement et à court terme, sans laisser de métabolites stables. A l’exception d’une désinfection inévitable, il n’y a pas de mise en œuvre de chimie questionable, ce qui s’aditionne à l’effet neutre sur la santé et l’environnement.

  1. Cendrillon

Il y a un autre problème lié au nettoyage écologique. Le nettoyage tel quel est encore et toujours considéré comme la Cendrillon de toutes les professions, ce qui est un sévère facteur limitant. C’est un boulot ennuyeux, ingrat, exécuté souvent par des personnes qui n’ont guère le choix de dire ‘non’. En général ils ne sont pas bien formés – s’ils sont formés du tout ; en fin de compte on n’a pas besoin de beaucoup de formation pour nettoyer, n’est-ce pas ?

Les fournisseurs de nettoyage professionnel, eux, sont pressés comme des citrons par leurs clients pour offrir des prix de bradage irréalistes. Tellement irréalistes que la publication principale du secteur du nettoyage Hollandais, Clean Totaal, a écrit un article sur le sujet s’adressant directement à ces clients-là avec l’avertissement qu’ils causeraient une catastrophe au secteur s’ils continueraient ce comportement.

Un des problèmes importants du nettoyage – en dépit des développements modernes – est qu’il s’agit toujours d’un travail qui demande de l’attention et de l’engagement et de ce fait, connait un coût de main d’oeuvre élévé vis à vis d’un coût de produit bas. Des tentatives pour réduire ce coût de main d’oeuvre en réduisant l’attention et l’engagement humains n’ont eu du succès que dans certains segments spécifiques, comme par exemple le nettoyage mécanique de grandes surfaces de sols. Mais là aussi, l’utilisation de détergents questionables en termes de santé et d’écologie est la pratique courante et l’hygiéne mesurée médiocre en est le résultat moyen. Il devrait être clair que ce genre de pratiques ne peut pas se continuer au futur. Si le secteur ne se renouvelle pas soi-même en adoptant des méthodes axés sur les développements futurs, il aura un législateur inlassable à ses trousses. Et cette fois il n’y aura pas la possibilité de rester hors du vent par un lobbying dans les couloirs politiques, ou par le biais de menaces à peine voilés sur une perte d’emplois. Les clients qui ont besoin de nettoyage professionnel veulent être perçus dans un contexte propre : écologiquement, économiquement, socialement. Utiliser des produits incorrects, demander des prix fantaisistes ou exploiter le personnel sont autant d’atteintes à leur réputation auprès de leurs clients à eux.

Pour toutes ces raisons nous n’avons pas seulement à transformer l’approche globale sur l’hygiène et le nettoyage vers une forme « apte du futur », mais aussi l’entente entre les fournisseurs, le personnel et les clients.

Tout le monde sait que quand on paye en cacahuètes, on attire des singes. Dans ce contexte, les ‘singes’ sont les résultats médiocres. Un boulot bien fait sousentends un prix honnête, ce qui ne sera pas facile à réaliser, car beaucoup de choses on été négligées pendant de longues années. Pourtant, c’est une nécessité absolue pour le secteur de muter dans une hygiène du futur, une hygiène futuro-logique. La seule autre option est de continuer l’hécatombe des biocides – ce qui n’est pas une solution. La conséquence en sera une résistance microbienne croissante à perpétuité et une situation de plus en plus ingérable.

L’inspiration pour cette innovation ne devrait cette fois-ci pas venir du passé, mais du futur. Où devrions nous nous retrouver d’ici cinq à dix ans ? Comment allons-nous nous engager pour en arriver là ? Ce que nous savons déjà aujourd’hui c’est que le nettoyage écologique dans la production cosmétique n’impose pas de nettoyants spéciaux et onéreux, ni des technologies inhabituelles, ni des protocoles longs et compliqués. Ce qui est principalement nécessaire ce sont des idées créatives, la coopération, les compromis et un développement par étapes. Nous allons entrer une nouvelle ère, après tout.

  1. Nettoyer plus malin, pas plus fort

Le nettoyage écologique d’équipement de la production cosmétique ne diffère pas tellement d’une situation de cuisine ménagère, soit-il que les volumes sont plus importants, les salissures plus marquées et la fréquence de nettoyage plus élevée.

Il y a quand-même quelques différences essentielles qui restent. La première se situe au niveau des matières premières, il y a quelques substances actuellement utilisées en cosmétique qui ne s’utilisent pas dans la cuisine, comme par exemple la vaseline, l’huile de paraffine et les silicones. Une seconde différence se situe au niveau de la technologie, des techniques comme le « Cleaning In Place » (CIP) sont bien sûr inconnues en cuisine ménagère. Inévitablement, ces matières premières et ces technologies demanderont des détergents spécifiques et des protocoles spécifiques qui seront difficiles (mais pas impossible) à remplacer par des versions plus écologiques.

La quintessence du nettoyage écologique n’est donc pas de nettoyer plus, ou plus intensément, mais plus malin. Les exigences du nettoyage écologique sont sensiblement les mêmes que ceux du nettoyage conventionel :

  • Un résultat adéquat, réproducible, mesurable

  • Des méthodes pratiques et efficaces

  • Des frais gérables

Pour y arriver nous ne devons pas nous attendre à des produits bons-à-tout, des protocoles unisexes et des solutions prêt-à-porter. Beaucoup sera à développer par du bon sens, par l’essai pratique et par des approches réactives. J’ai souvent vécu que, après l’essai et l’introduction d’une innovation en nettoyage, le personnel concerné réagissait d’un « mais pourquoi est-ce qu’on n’a pas fait cela déjà plus tôt ? »

  1. Conclusion

Le nettoyage écologique est bien trop souvent perçu comme un art noir et mystérieux, uniquement connu par des experts en la matière et scellé par des certificateurs presque mythiques. En réalité c’est du nettoyage comme toujours, mais dans une perspective « du berceau au tombeau » ou « du berceau au berceau ». Cela implique une coopération intense entre tous les partis engagés. Propriétaires d’équipement, fournisseurs de services, fournisseurs de détergents et organismes certificateurs doivent partager leur savoir-faire pour générer des solutions optimales pour le nettoyage industriel écologique. Nous vivons dans un temps de transition et nous devons nous mettre ensemble et nous parler afin de réaliser une situation bien meilleure pour tout le monde, y compris l’environnement.